Lee Krasner artiste majeure avant Pollock : parcours d'une pionnière
Née Lena Krassner en 1908 à Brooklyn dans une famille d'immigrants juifs ukrainiens, Lee Krasner s'impose dès les années 1930 comme une artiste majeure de la scène new-yorkaise, bien avant sa rencontre avec Jackson Pollock. Formée à la Cooper Union et à la National Academy of Design, elle développe rapidement un style personnel influencé par le cubisme synthétique et l'abstraction lyrique.
Son parcours artistique s'enrichit lors de sa formation avec Hans Hofmann entre 1937 et 1940, figure tutélaire de l'École de New York. Cette période cruciale lui permet de maîtriser les techniques d'abstraction géométrique et de développer une approche unique combinant influences européennes et sensibilité américaine. Membre active des American Abstract Artists dès 1940, Krasner expose régulièrement et s'établit comme une figure respectée du mouvement expressionniste abstrait naissant.
- Formation artistique complète dans les meilleures écoles new-yorkaises
- Maîtrise technique reconnue par ses pairs masculins
- Participation active au Federal Art Project (1935-1943)
- Développement d'un langage plastique personnel distinctif
Sa reconnaissance précoce se manifeste par sa participation aux expositions collectives majeures. En 1941, lors de l'exposition cruciale "French and American Painting", elle apparaît comme la seule femme artiste établie du groupe.
Lee Krasner dans l'ombre de Pollock : effacement artistique systématique
La rencontre entre Lee Krasner et Jackson Pollock en 1942 marque paradoxalement le début d'un effacement progressif de sa reconnaissance artistique. Leur mariage en 1945 transforme la perception critique de son travail : désormais, elle devient "Mrs. Jackson Pollock" plutôt que l'artiste majeure qu'elle était.
Cet effacement systématique se manifeste dans la critique d'art. Les journalistes minimisent ses contributions créatives, comme en témoigne cette critique révélatrice de 1949 : "Lee Krasner (Mrs. Jackson Pollock) takes her husband's paint and enamels and changes his unrestrained, sweeping lines into neat little squares and triangles." Cette réception révèle le sexisme institutionnel ambiant qui réduit son travail à une simple adaptation de celui de Pollock.
La dynamique de couple artistique crée une hiérarchie artificielle injuste. Paradoxalement, c'est Krasner qui introduit Pollock aux grands collectionneurs et critiques influents, notamment Clement Greenberg. Son rôle de mentor artistique et sa formation technique supérieure restent occultés par la narrative dominante masculine.
- Réduction critique au statut d'épouse d'artiste
- Minimisation de son influence sur le développement de Pollock
- Signature parfois anonymisée ("L.K." au lieu de Lee Krasner)
- Rumeurs infondées sur l'arrêt de sa production pendant les années Pollock
Cette période d'invisibilisation critique contraste avec la réalité de sa production : elle continue de créer ses "Little Images" révolutionnaires (1946-1950) et développe son approche unique du tableau abstrait expressionniste.
Réhabiliter Lee Krasner : techniques de reconnaissance posthume
La réhabilitation de Lee Krasner comme artiste majeure s'amorce dans les années 1970-1980 avec l'émergence des études féministes en art. Cette reconnaissance tardive s'appuie sur plusieurs stratégies muséales et critiques innovantes.
L'exposition révolutionnaire "Krasner/Pollock: A Working Relationship" (1981) constitue un tournant décisif. Pour la première fois, elle présente Krasner comme partenaire artistique égale plutôt que comme simple épouse. Cette approche révèle l'influence mutuelle authentique et la sophistication technique de son travail.
La rétrospective du MoMA (1983) marque l'apogée de cette réhabilitation. Suivant sa mort en 1984, le critique Robert Hughes la décrit comme "the Mother Courage of Abstract Expressionism", reconnaissant son statut de pionnière fondatrice du mouvement.
Les stratégies de réhabilitation contemporaines incluent :
- Réexamen critique des archives et correspondances
- Expositions monographiques internationales ("Lee Krasner: Living Color")
- Réévaluation du marché de l'art (record de 11,7 millions $ en 2019)
- Intégration dans les programmes d'études artistiques
Lee Krasner artiste majeure : œuvres emblématiques et impact durable
L'œuvre magistrale de Lee Krasner révèle une artiste majeure dont l'impact esthétique dépasse largement son association avec Pollock. Son catalogue, avec 599 œuvres répertoriées (Source : Catalogue raisonné Abrams 1995), témoigne d'une recherche artistique constante et d'une innovation technique remarquable.
Ses séries emblématiques marquent des évolutions révolutionnaires. Les "Little Images" (1946-1950) anticipent l'action painting et démontrent sa maîtrise de l'abstraction gestuelle. Les "Umber Paintings" monumentales (1959-1962), créées après la mort de Pollock, révèlent une expressivité brute et une monumentalité inédite.
La technique du collage-peinture devient sa signature distinctive. Krasner découpe ses propres œuvres pour les réassembler, créant des compositions dynamiques qui anticipent les pratiques contemporaines de recyclage artistique.
- "Prophecy" (1956) : synthèse magistrale entre figuration et abstraction
- "Combat" (1965) : monumentalité expressive post-Pollock
- Série "Earth Green" (1957-1959) : exploration des formats géants
- "The Seasons" (1957) : chef-d'œuvre de 5 mètres de large
Son impact durable se mesure par sa présence dans les collections internationales majeures et sa cote record sur le marché de l'art contemporain. La Pollock-Krasner Foundation, créée selon ses volontés, perpétue son engagement pour le soutien aux artistes émergents contemporains.
