Les Nabis ont bouleversé la façon de peindre les paysages bretons. Entre 1888 et 1900, ces jeunes artistes révolutionnaires ont fait de la Bretagne leur terrain d'expérimentation. Leur mission ? Abandonner la copie fidèle de la nature pour créer quelque chose de radicalement nouveau, en s'inscrivant dans le mouvement du post-impressionnisme et du symbolisme.
Les techniques de stylisation des paysages bretons par les Nabis
Imaginez un paysage où tout est simplifié à l'extrême. Les Nabis, menés par Paul Sérusier et Maurice Denis, ont réduit la nature bretonne à ses formes essentielles. Fini les détails minutieux des impressionnistes. Place aux formes géométriques pures.
Prenons Les Laveuses à la Laïta (1892) de Sérusier. Le fleuve breton devient une surface bleue totalement plate. Les champs ? Des rectangles de couleurs vives - rouge, or. Les rochers de granit se transforment en masses colorées sans nuances. Les célèbres landes bretonnes deviennent des zones abstraites où seule compte la composition.
Cette méthode élimine tout ce qui est anecdotique. Plus de petites herbes, de reflets subtils, de détails pittoresques. Les Nabis cherchent la structure profonde du paysage. Selon les historiens de l'art, ils ont produit plus de 200 œuvres en Bretagne durant leur période la plus créative (Source : Musée de Pont-Aven). Un chiffre impressionnant qui montre leur obsession pour ce territoire.
Aplats de couleurs et cernes sombres dans les paysages bretons nabis
Tout commence par une leçon de Paul Gauguin à Sérusier en 1888, au bois d'Amour à Pont-Aven. "Vous voyez cet arbre ? Il est vert ? Alors mettez le vert le plus intense de votre palette. Cette ombre est bleue ? Peignez-la aussi bleue que possible."
Cette conversation produit Le Talisman, petit tableau révolutionnaire où la forêt bretonne explose en aplats de couleurs pures. Pas de dégradés, pas d'ombre subtile. Juste des zones franches de couleur qui vibrent côte à côte. Cette approche marque la naissance du synthétisme.
Les Nabis appliquent cette technique à tous leurs paysages bretons. Sérusier transforme une forêt en Bois rouge (1895) - du rouge partout, sans compromis. Georges Lacombe stylise les vagues bretonnes dans ses Marines (1892-1894) avec des motifs circulaires délimités par des cernes sombres. Ces contours noirs ou bleu foncé séparent chaque élément comme dans un vitrail médiéval.
Maurice Denis entoure chaque tronc d'arbre d'un trait épais dans Les Arbres verts de Kerduel (1893). Résultat ? Un paysage breton qui ressemble à une tapisserie moderne. La couleur devient expressive plutôt que descriptive. Un champ peut être rouge vif si l'artiste le ressent ainsi. Le ciel jaune intense dans certaines œuvres défie toute logique naturaliste.
Cette approche décorative continue d'influencer la création contemporaine. On retrouve ces principes de stylisation dans de nombreux tableaux paysages actuels qui perpétuent l'héritage nabi.
La ligne d'horizon haute : signature visuelle des paysages bretons nabis
Repérez un tableau nabi breton et vous verrez immédiatement : l'horizon est placé très haut. Cette technique distinctive bouleverse toutes les règles académiques de la perspective.
Pourquoi faire ça ? En élevant l'horizon, les Nabis donnent presque tout l'espace du tableau à ce qui les intéresse vraiment : la végétation bretonne, les rochers, les personnages en costumes traditionnels. Dans Les Laveuses à la Laïta, Sérusier monte tellement l'horizon que le fleuve et les champs envahissent littéralement la toile.
Cette technique produit des effets puissants :
- L'espace devient totalement plat, comme écrasé
- Le paysage se transforme en surface décorative bidimensionnelle
- Les motifs typiquement bretons (calvaires, landes, coiffes) occupent le devant de la scène
- La vision plongeante rappelle les estampes japonaises qui fascinaient les artistes de l'époque, illustrant l'influence du japonisme
Maurice Denis excelle dans cette approche. Dans Paysage aux arbres verts, les troncs bretons occupent 80% de la composition verticale. Jan Verkade va encore plus loin dans ses Paysages bretons (1891-1892) : l'horizon monte si haut que le ciel disparaît presque totalement. Reste uniquement la campagne bretonne avec ses motifs mystiques.
L'influence du cloisonnisme sur la stylisation des paysages bretons
Le cloisonnisme naît à Pont-Aven en 1888 de la rencontre explosive entre Gauguin et Émile Bernard. La technique ? Cerner chaque motif d'un trait sombre pour créer des compartiments de couleur. Le critique Édouard Dujardin invente ce nom en pensant aux vitraux médiévaux et aux émaux cloisonnés.
Dans un paysage breton nabi, le cloisonnisme organise tout. Les cernes noirs séparent le ciel des champs, les arbres des chemins, les rochers des vagues. Chaque zone devient autonome, indépendante. La Vision après le sermon de Gauguin applique ce principe magistralement, même si la scène est mentale plutôt que réelle.
Sérusier adopte immédiatement la méthode. Dans La Barrière fleurie (1889), chaque élément du paysage breton est isolé par un contour vigoureux. Le résultat ? Une mosaïque de couleurs éclatantes où la nature devient motif géométrique.
Mais le cloisonnisme fait plus que structurer la composition. Il renforce la dimension sacrée que les Nabis cherchent dans les paysages bretons. Les forêts deviennent des cathédrales naturelles. Les calvaires acquièrent une présence monumentale. Les landes se transforment en espaces mystiques où plane une spiritualité primitive.
Charles Filiger pousse la technique jusqu'à l'extrême dans ses Notations colorées (1890-1892). Ses paysages bretons frôlent l'abstraction pure, annonçant les recherches du XXe siècle.
Les Nabis et la transposition des paysages bretons en surfaces décoratives
Maurice Denis résume la philosophie nabis en une formule célèbre : "Un tableau - avant d'être un paysage breton - est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées."
Cette vision transforme radicalement le statut du paysage. La Bretagne n'est plus un sujet à reproduire fidèlement, mais une source de motifs décoratifs à composer librement. Les Nabis refusent la hiérarchie traditionnelle entre la "grande" peinture et les arts décoratifs.
Concrètement, ça donne quoi ? Les paysages bretons stylisés se retrouvent partout : tapisseries, vitraux, paravents, broderies. Marguerite Sérusier et d'autres épouses d'artistes nabis créent des broderies d'après les compositions de leurs maris. Georges Lacombe sculpte des bois où les vagues bretonnes deviennent arabesques pures.
Cette approche décorative répond à une demande sociale. La bourgeoisie de la fin du XIXe siècle, enrichie par l'industrialisation, réclame un décor moderne pour ses intérieurs. Les paysages bretons nabis ornent salons parisiens, théâtres d'avant-garde comme le Théâtre de l'Œuvre, revues littéraires comme La Revue Blanche.
L'esthétique décorative permet aussi une démocratisation de l'art. Grâce aux lithographies, estampes et affiches, les motifs bretons stylisés deviennent accessibles au grand public. Entre 1891 et 1900, les expositions nabis présentent ces œuvres comme modèles d'une modernité qui influence directement l'Art Nouveau et prépare les avant-gardes du siècle suivant.
FAQ - Les Nabis et les paysages bretons
Quelle est la principale différence entre un paysage impressionniste et un paysage nabi breton ?
Les impressionnistes cherchaient à capturer la lumière et l'atmosphère réelles d'un paysage breton, tandis que les Nabis stylisaient radicalement la nature en utilisant des aplats de couleurs pures, des cernes sombres et une ligne d'horizon très haute. Pour les Nabis, un paysage breton n'était pas une scène à reproduire fidèlement mais une surface décorative à composer librement avec des formes simplifiées et des couleurs expressives.
Pourquoi les Nabis ont-ils choisi la Bretagne comme terrain d'expérimentation ?
La Bretagne offrait plusieurs avantages aux Nabis : un coût de vie économique, une forte présence artistique à Pont-Aven grâce à Gauguin, et surtout un territoire perçu comme primitif et spirituel. Les paysages bretons avec leurs calvaires, landes mystiques et costumes traditionnels correspondaient à leur quête d'un art sacré et symboliste, loin de la modernité parisienne industrialisée.
Comment reconnaître un paysage breton peint par les Nabis ?
Un paysage breton nabi se reconnaît à plusieurs signatures visuelles : aplats de couleurs vives sans dégradé, cernes sombres qui délimitent chaque forme comme dans un vitrail, ligne d'horizon placée très haut qui aplatit l'espace, simplification géométrique extrême des formes naturelles, et absence totale de perspective académique. L'œuvre ressemble davantage à une tapisserie décorative qu'à une représentation naturaliste.