Lors d'une vente aux enchères à Amsterdam, j'ai identifié un détail qui a triplé l'estimation d'un tableau de chasse : le chien au premier plan n'était pas un simple épagneul, mais un rare Kooikerhondje, race prisée par la noblesse hollandaise. Cette reconnaissance a transformé une scène de genre ordinaire en témoignage historique précieux. Les peintres flamands du XVIIe siècle ne représentaient pas les chiens par hasard : chaque race portait un message social, symbolique et esthétique que tout amateur d'art animalier devrait pouvoir décoder.
Voici ce qu'apporte l'identification des races canines dans la peinture flamande : une compréhension approfondie du statut social des commanditaires, une lecture symbolique enrichie des œuvres, et la capacité d'authentifier et dater précisément les tableaux. Ces connaissances transforment votre regard sur les maîtres comme Frans Snyders, Jan Fyt ou Paulus Potter, révélant des détails que 99% des visiteurs de musées ignorent.
Beaucoup d'amateurs ressentent cette frustration devant un tableau flamand : ils admirent la technique, la lumière, la composition, mais passent à côté d'un niveau de lecture essentiel. Ce chien élégant au pelage blanc et roux près de la dame fortunée ? Cette meute au second plan d'une scène de chasse ? Ces détails racontent une histoire que vous ne savez pas encore lire. Comme si vous visitiez un pays sans en comprendre la langue.
Rassurez-vous : identifier les races de chiens dans la peinture flamande ne demande pas des années d'études vétérinaires ou d'histoire de l'art. Il suffit d'apprendre à reconnaître quelques caractéristiques morphologiques clés et de comprendre le contexte cynophile du Siècle d'Or. Je vous propose un voyage dans les ateliers d'Anvers et d'Amsterdam, où les chiens n'étaient jamais de simples figurants.
Les épagneuls : ambassadeurs de l'élégance domestique
Dans les intérieurs bourgeois flamands, une race domine : l'épagneul nain continental, ancêtre de nos papillons et phalènes actuels. Regardez les portraits de famille de Gonzales Coques ou les scènes d'intérieur de Gerard ter Borch : ces petits chiens aux oreilles en papillon et au poil long soyeux symbolisent la fidélité conjugale et le raffinement.
Pour les identifier, cherchez ces caractéristiques : taille réduite (souvent représentés sur les genoux ou à côté d'enfants), robe bicolore ou tricolore (blanc avec taches rousses ou noires), museau fin et délicat, et surtout ces oreilles frangées si caractéristiques. Les peintres flamands excellaient dans le rendu de ce pelage soyeux, utilisant des glacis subtils pour créer cette texture reconnaissable.
L'épagneul Kooikerhondje, plus grand, apparaît dans les scènes de chasse au canard. Observez les tableaux de Melchior d'Hondecoeter : cette race hollandaise au pelage blanc et orange, avec ses oreilles tombantes bordées de noir, servait à attirer les canards dans les pièges. Sa présence dans un tableau indique souvent un commanditaire néerlandais fortuné, propriétaire de domaines de chasse.
Lévriers et chiens courants : la noblesse en mouvement
Les scènes de chasse flamandes regorgent de meutes où chaque chien possède une fonction précise. Jan Fyt et Frans Snyders, maîtres du genre animalier, représentaient avec exactitude les différentes races de chiens courants utilisés pour la vénerie.
Le chien courant de Saint-Hubert, ancêtre du bloodhound, se reconnaît à sa silhouette massive, ses oreilles démesurément longues et tombantes, et sa tête puissante avec des plis de peau marqués. Dans les tableaux, ces chiens occupent souvent l'avant-plan des scènes de curée, symbolisant la puissance et la persévérance. Leur robe généralement sombre (noir et feu) contraste magnifiquement avec les carnations claires du gibier.
Les lévriers, symboles ultimes de noblesse, apparaissent dans deux contextes distincts. Le lévrier italien, gracile et miniature, orne les portraits aristocratiques, posé élégamment près de dames de qualité. Cherchez cette silhouette longiligne extrême, ce cou arqué délicat, cette tête fine au museau effilé. À l'inverse, le lévrier de chasse ou greyhound surgit dans les tableaux de vénerie, musculeux et dynamique, capturant cerfs et sangliers. Les peintres flamands adoraient représenter leur musculature saillante et leur mouvement suspendu.
Les indices morphologiques qui ne trompent pas
Pour distinguer un lévrier d'un chien courant dans un tableau du XVIIe siècle, observez le rapport entre la hauteur au garrot et la longueur du corps. Le lévrier présente des pattes démesurément longues par rapport au tronc, une poitrine profonde mais étroite, et un ventre très remonté. Le chien courant affiche des proportions plus équilibrées, une ossature plus lourde, et cette caractéristique essentielle : des oreilles tombantes alors que certains lévriers portent les oreilles semi-dressées.
Dogues et molosses : gardiens de l'ordre social
Les chiens de type mâtin incarnent dans la peinture flamande la protection, la vigilance et parfois la menace. Le Bullenbeisser, ancêtre du boxer allemand, apparaît dans les scènes de chasse au taureau ou au sanglier. Reconnaissez-le à sa tête massive et brachycéphale (museau court et écrasé), sa mâchoire prognathe puissante, et son corps trapu et musclé.
Dans les natures mortes au gibier de Snyders, ces molosses montent la garde près des prises de chasse, leur présence rappelant le danger maîtrisé. Leur robe fauve ou bringée, leurs oreilles coupées (pratique courante à l'époque), et leur expression féroce contrastent avec la douceur des épagneuls domestiques.
Le dogue espagnol ou Alano, plus grand encore, figure dans les tableaux de chasse exotique ou les allégories de continents. Sa taille imposante, son museau carré, et sa robe généralement unie (fauve, grise ou noire) en font un symbole de puissance brute et de domination coloniale dans l'iconographie de l'époque.
Terriers et chiens de travail : le quotidien flamand
Au-delà des races aristocratiques, les peintres de genre comme Adriaen van Ostade ou David Teniers le Jeune représentaient la vie quotidienne avec ses chiens de ferme et de travail. Ces canidés plus rustiques nous renseignent sur la diversité cynophile réelle du XVIIe siècle.
Le Smoushond hollandais, petit terrier au poil dur et hirsute, apparaît dans les scènes de taverne et les intérieurs paysans. Sa silhouette compacte, son pelage ébouriffé généralement jaune paille, et sa présence près des tonneaux (il chassait les rats) le rendent identifiable. Ces chiens n'avaient pas la grâce des épagneuls de salon, mais les peintres rendaient avec tendresse leur caractère espiègle.
Le chien de bouvier, ancêtre des Schipperke et Keeshond, gardait les péniches et les troupeaux. Cherchez dans les paysages fluviaux ces chiens de taille moyenne, au pelage dense noir ou gris, avec une collerette fournie autour du cou et une queue portée enroulée sur le dos. Leur présence authentifie souvent une scène véritablement néerlandaise plutôt qu'italianisante.
Décoder les symboles : au-delà de la race
Identifier la race n'est que la première étape. Dans la peinture flamande, chaque chien porte une charge symbolique héritée de l'emblématique médiévale. L'épagneul blanc incarne la fidélité et la pureté, souvent placé aux pieds d'une épouse vertueuse. Le chien courant symbolise les vertus chevaleresques : courage, persévérance, loyauté envers le maître.
Les meutes dans les tableaux de chasse ne sont jamais anarchiques : observez comment les peintres distinguent le chien de tête (meilleur flair, généralement un Saint-Hubert) des chiens de corps (courants plus rapides) et des chiens de rapport (souvent des épagneuls d'eau). Cette hiérarchie canine reflète l'organisation sociale de l'Ancien Régime.
Un détail révélateur : la présence ou absence de collier. Un collier ouvragé indique un chien de compagnie précieux, souvent offert en cadeau diplomatique. Les chiens de chasse portent des colliers utilitaires ou n'en portent pas. Cette distinction permet d'affiner la lecture du statut social représenté.
La méthode d'attribution par les races canines
Les historiens de l'art utilisent désormais l'identification des races comme outil de datation et d'attribution. Certaines races apparaissent à des périodes précises : le Kooikerhondje se standardise vers 1650, sa présence dans un tableau prétendument de 1620 signalerait une anomalie. De même, les proportions anatomiques évoluent : les épagneuls de 1600 sont plus trapus que ceux de 1680, déjà sélectionnés vers la miniaturisation.
Frans Snyders représentait les chiens courants avec une musculature exagérée, presque héroïque, tandis que Jan Fyt privilégiait un naturalisme anatomique plus sobre. Ces signatures stylistiques, combinées à la reconnaissance des races, permettent d'authentifier ou de contester des attributions.
Construire votre œil d'expert
Pour développer cette compétence d'identification des races canines dans la peinture flamande, adoptez une méthode progressive. Commencez par les races les plus fréquentes et morphologiquement distinctes : épagneul nain, lévrier, Saint-Hubert. Visitez les collections du Mauritshuis à La Haye, du Musée des Beaux-Arts d'Anvers, ou du Louvre, en vous concentrant sur les sections XVIIe siècle flamand.
Créez-vous un répertoire visuel mental en observant méthodiquement : forme générale de la silhouette, proportions tête-corps, type d'oreilles (dressées, semi-dressées, tombantes), longueur et texture du poil, couleur de robe dominante. Comparez ensuite avec les standards de races historiques, disponibles dans les traités cynophiles d'époque ou les études d'histoire naturelle.
Les détails du pelage révèlent la maîtrise technique du peintre et l'exactitude de sa représentation. Les maîtres flamands utilisaient différentes techniques selon le type de poil : glacis translucides pour les épagneuls soyeux, empâtements pour les terriers au poil dur, touches fines et serrées pour le pelage ras des lévriers. Cette virtuosité technique servait aussi à démontrer la valeur de l'œuvre.
Apportez cette élégance intemporelle dans votre intérieur
Découvrez notre collection exclusive de tableaux d'animaux qui capturent la noblesse et le raffinement des maîtres flamands, réinterprétés pour les amateurs d'art contemporain.
Désormais, lorsque vous vous trouverez devant un tableau flamand du XVIIe siècle, votre regard ne glissera plus sur ces silhouettes canines. Vous reconnaîtrez l'épagneul royal, symbole de fidélité conjugale. Vous identifierez le Saint-Hubert, témoignage des privilèges de chasse. Vous décoderez dans une meute les hiérarchies sociales de l'Ancien Régime. Ces chiens cessent d'être de simples éléments décoratifs pour devenir des clés de lecture historique, sociale et symbolique.
Cette connaissance transforme chaque visite au musée en enquête passionnante. Elle enrichit votre collection personnelle si vous investissez dans l'art animalier. Elle vous permet de participer aux conversations des connaisseurs avec l'assurance que donnent les savoirs spécialisés. Les races de chiens dans la peinture flamande ne sont pas un détail d'érudition poussiéreuse, mais une fenêtre ouverte sur un monde disparu, dont la beauté et la sophistication peuvent encore nourrir notre sensibilité esthétique contemporaine.
Commencez dès aujourd'hui : choisissez un tableau, un seul, dans un livre ou en ligne. Étudiez chaque chien représenté. Identifiez sa race, cherchez sa symbolique, comprenez sa présence. Puis passez à un autre tableau, puis un autre. Tableau après tableau, votre œil s'affûtera, votre plaisir s'approfondira, et ces maîtres flamands vous révéleront des secrets que vous ne soupçonniez pas.
Foire aux questions
Les races représentées dans la peinture flamande existent-elles encore aujourd'hui ?
Excellente question qui touche à l'évolution cynophile sur quatre siècles. Certaines races ont remarquablement peu changé : l'épagneul nain continental actuel ressemble étonnamment à ses ancêtres du XVIIe siècle, même si la sélection moderne a encore affiné sa miniaturisation. Le Kooikerhondje a failli disparaître après la Seconde Guerre mondiale, mais des éleveurs passionnés l'ont reconstitué à partir de quelques lignées survivantes en s'appuyant notamment sur les représentations picturales historiques comme référence morphologique. En revanche, le Bullenbeisser a disparu, absorbé dans d'autres races comme le boxer. Les chiens courants flamands ont évolué vers des races spécialisées nationales. Quand vous observez un tableau flamand, vous regardez parfois des races éteintes, témoignages irremplaçables d'une diversité génétique perdue. C'est l'une des raisons pour lesquelles ces œuvres possèdent aussi une valeur documentaire scientifique, consultée par les généticiens canins et les clubs de races pour comprendre l'évolution morphologique de leurs lignées.
Comment différencier un vrai tableau flamand d'une copie moderne en observant les chiens ?
Les faussaires commettent souvent des anachronismes cynophiles révélateurs. Un véritable peintre du XVIIe siècle connaissait intimement les chiens de son époque, leurs proportions exactes, leurs fonctions spécifiques. Les copies modernes trahissent généralement une méconnaissance des standards historiques : proportions trop proches des races actuelles (les épagneuls modernes ont des têtes plus rondes et des museaux plus courts), races inexistantes à l'époque (un cavalier King Charles dans un tableau prétendument de 1650 serait suspect, cette race s'étant stabilisée plus tard), ou incohérences fonctionnelles (un lévrier italien dans une scène de chasse au sanglier). Les véritables maîtres flamands représentaient aussi les détails anatomiques avec une précision issue de l'observation directe : coussinets plantaires, denture lors des aboiements, position exacte des ergots. Un faussaire travaillant d'après photographies modernes manquera ces subtilités. Enfin, observez l'insertion des chiens dans la composition : les maîtres anciens intégraient organiquement les animaux à l'espace pictural, alors que les copies modernes les ajoutent souvent comme des éléments rapportés, sans véritable interaction lumineuse avec l'environnement.
Faut-il des connaissances en élevage canin pour apprécier ces tableaux ?
Absolument pas, et c'est toute la beauté de cette approche : elle est accessible à tout amateur curieux. Vous n'avez pas besoin de connaître les standards de races contemporains ni d'être cynophile. Il suffit d'apprendre à observer méthodiquement quelques caractéristiques visuelles simples : grand ou petit, poil long ou court, oreilles dressées ou tombantes, silhouette élancée ou trapue. Commencez par distinguer trois grandes familles : les chiens de compagnie (petits, dans les intérieurs), les chiens de chasse (meutes, scènes extérieures), et les chiens de garde (massifs, protecteurs). Puis affinez progressivement. Les cartels de musées mentionnent de plus en plus souvent les races représentées, profitez-en pour éduquer votre regard. Des applications de reconnaissance d'œuvres d'art permettent désormais d'identifier instantanément un tableau et d'accéder à des analyses détaillées. L'essentiel est la curiosité et le plaisir de la découverte. Chaque identification correcte renforce votre confiance et affûte votre œil. Après quelques mois de pratique attentive, vous surprendrez même les guides de musée par vos observations pertinentes sur ces compagnons à quatre pattes qui peuplent les chefs-d'œuvre flamands.




























